Tu sais Orion, tu es le descendant d'Enée… Le grand Enée, le légendaire, celui à l'origine même de Rome, héros le plus adulé des Romains, a donné naissance à une grande lignée dont nous faisons partie. Sois fier, Orion, sois fier de tes origines. J'ai gagné ma place au Sénat il y a des années… Aujourd'hui je ne suis plus qu'un vieillard bon à donner mon vote, mais eh, je suis ton grand-père. Alors je vais te raconter une histoire importante pour moi.

Tu as entendu parler du vol de l'aigle de la Légion il y a une quarantaine d'années ? Moi, à l'époque, j'étais encore pas trop vieux, encore fougueux comme un étalon, et j'avais décidé qu'au Sénat, je donnerai tout pour que la Nouvelle-Rome soit un lieu parfait pour les demi dieux. Seulement voilà : il y avait Giacomo Belacoros qui me mettait des bâtons dans les roues, dès qu'il le pouvait. Celui-là… C'était un digne descendant d'Autolykos, c'était un peu le roi des voleurs dans l'antiquité vois-tu. Un voleur, un traître à la Légion, probablement une Chimère. Tout le monde dit que ce sont que des fables, les Chimères, mais moi je suis sûr qu'ils existent quelque part dans la Nouvelle Rome. Encore aujourd'hui, hélas.

Enfin bon. L'aigle a disparu sous mes yeux. Ce n'était qu'une silhouette encapuchonnée, mais j'étais sûr et certain que c'était lui. D'autres avaient les mêmes soupçons que moi, alors je l'ai dénoncé au Sénat immédiatement. Voler l'aigle de la Légion… C'était impensable, c'est le symbole de notre force, le symbole de Rome ! Ça aurait mérité une exécution en bonne et due forme, mais nous n'avions pas assez de preuves. C'est pour ça qu'on l'a banni. Oh, l'aigle avait retrouvé sa place un peu avant que Giacomo ne soit convoqué, mais il avait causé tellement de trouble avec cette histoire, on ne pouvait pas laisser passer ça, tu comprends ? Si un jour tu croises un Belacoros à la Nouvelle Rome, méfie-t'en comme de la peste, Orion. Montre toi digne d'Enée, sois brave, et surtout, ne te laisse pas avoir. Il était fourbe, et il y a fort à parier pour que ses enfants et petits-enfants le soient aussi. Ça coule dans leurs veines.

Orion avait entendu cette histoire des millions de fois de la bouche de son grand-père, c'était sa plus grande fierté. La disparition des Belacoros avait ramené un semblant de calme à la Nouvelle Rome. La morale que lui donnait son grand-père à la fin de cette histoire était toujours ne vole pas, ne mens pas, ne triche pas, ou tu finiras comme lui. Christopher Bannius savait être menaçant. Un politicien peut-être un peu trop impétueux, mais pas moins bon et généreux que son fils, Carl.

Le père d'Orion, Carl Bannius, fils d'Hécate fut un bras droit puis centurion émérite de la première cohorte, avant de se faire élire prêteur puis gagner sa place de Sénateur après ses années de service à la Légion. Sa mère, Salomée Finigan quant à elle, est une très lointaine descendante de Mars, devenue exploratrice mythologique après son service. Salomée était une jeune femme pétillante, pas naïve pour deux sous, mais à la recherche tout de même de l'amour véritable, the one, l'unique, le grand, le vrai. Elle le trouva avec Carl, évidemment. Et ils eurent un enfant, un seul, qu'ils choyèrent comme un prince.

Orion a, au plus grand bonheur de ses parents, hérité d'une partie des dons de son père. Son pouvoir passif se manifesta vers l'âge de huit ans. En rêvant, il lui arrive parfois d'avoir des prémonitions, plutôt vagues et incertaines, dont l'issue est variable selon s'il se mêle à l'histoire ou pas. Par exemple, il sait que son comparse va prendre du poulet au Mess à midi, ou que telle autre personne qu'il bousculera par maladresse dans la matinée va renverser tout un étalage de glaive, ou encore qu'un camarade va se faire blesser grièvement aux jeux de guerre s'il ne le prévient pas.

Orion a huit ans, et son père le borde. Promesses d'avenir glorieux, d'histoires sur leurs ancêtres, d'histoire sur sa grand-mère, Hécate. Carl avait hérité du don de prophétie, et de la manipulation de la Brume à volonté ainsi que la projection astrale, et ses années d'entraînements le rendait redoutable. Il espérait que son fils hériterait d'au moins une partie de ses pouvoirs à lui. Le gamin s'endormit sur une note joyeuse, et son père quitta la pièce.

Orion rêvait. Ces rêves étaient si différents. Orion avait l'impression de flotter dans un monde qui n'était pas le sien. Il était entièrement constitué de brume, et il ne pouvait pas intervenir. Il voyait une silhouette familière qui lui ressemblait, mais plus grand, plus mûr, plus musclé. C'était lui, plus âgé. Il voyait son camarade de toujours, Theo. Une fille les accompagnait, impossible de discerner son visage, mais elle lui était étrangère, c'était certain. Il les voyait livrer une bataille acharnée contre un drâkon. Puis, au moment ou le Monstre crachait un jet d'acide, le rêve se termina.

Frustré, l'enfant rejeta les couvertures et partit annoncer à son père qu'il avait encore fait un songe étrange. Carl fut heureux comme jamais lorsque son fils lui expliqua qu'il avait déjà vu certaines choses en rêve, qui se réalisaient plus tard, cela variait de quelques heures à quelques mois. Après une longue discussion réconfortante, le petit finit par se rendormir. Cette fois-ci, ce fut un rêve banal d'enfant.

Son pouvoir actif, lui, se manifesta à l'âge de onze ans. L'enfant était bien loin d'imaginer qu'il hériterait également d'un pouvoir comme celui-là. Sa mère lui parlait encore et encore de tous les lieux mythologiques qu'elle avait pu rechercher et parfois trouver, et Orion était tellement emballé, il désirait tellement, tellement y aller lui aussi que son esprit s'était transporté en plein milieu d'une clairière. Il ne le savait pas, mais il était au Mont Tamalpais, près du jardin des Héspérides. Bon, la géolocalisation n'était pas parfaite, mais toujours est-il qu'il s'y est rendu. Plus ou moins. Salomée, voyant son fils totalement absent, ne répondant plus à rien, paniqua légèrement. Elle paniqua encore plus lorsque son fils s'évanouit dans ses bras. Lorsque Orion lui expliqua qu'il n'avait pas du tout été absent, à son réveil, mais qu'il était tout simplement ailleurs, il lui fallut un temps de réflexion assez important avant de comprendre que son fils venait de manifester une deuxième habileté héritée d'Hécate.

Lorsqu'Orion reçut enfin la visite de Lupa en rêve, très peu de temps après cet évènement, pour l'anniversaire de ses douze ans pour être précis, il prévint ses parents qu'il allait enfin passer ses tests, qu'il réussit avec succès. Orion, grâce à une lettre de recommandation de son père, intégra la première cohorte suite à son année de probatio. Plus le temps passait, plus Orion était capable d'envoyer son esprit loin, parfois très loin, dans des lieux qu'il n'avait jamais visités, mais qu'il souhaitait tout simplement voir. Ce pouvoir fut d'ailleurs très pratique pour les jeux de guerre. Il lui suffisait de rester en retrait et d'envoyer son esprit ailleurs sur le terrain, soit pour partir en éclaireur, soit pour faire diversion. C'est ce pouvoir-là qui lui a valu de rester en vie à la bataille du Labyrinthe.

Orion a donc commencé par apprendre le maniement du tir à l'arc, qui se révèle être son arme de prédilection. Pendant les jeux de guerre, il tient son poste d'archer et devient un atout des plus précieux. Il faut dire qu'au début, son pouvoir actif n'était pas très précis. S'il voulait se rendre dix mètres plus loin, il atterrissait parfois à plus d'un kilomètre. Il lui a fallu des années d'entraînement pour maîtriser ce don. Puis il apprit à se servir d'un glaive. S'il n'était pas forcément à l'aise avec au début – il lui a fallu tester des armes de toutes les tailles, de toutes les formes avant d'enfin tomber sur la bonne – il a vite mis de côté ses appréhensions pour donner tout ce qu'il avait dans le ventre, et est devenu, avec quelques années d'entraînement, un épéiste hors pairs.

En huit années de service, Orion a participé à deux quêtes. La première, qui fut un semi-succès et dont il s'est extirpé vivant, mais bel et bien chamboulé par la mort de son ami Theo, qu'il avait mené à sa perte face à un drakon particulièrement coriace. Mais après tout, rendre aveugle un drâkon à coup de flèches n'était pas à la portée de tous, et malgré la perte de son ami, Orion a continué de vivre sa vie. La deuxième expédition dans le Labyrinthe, en compagnie de sa Centurion, Athénaïs Horas qui lui a valu la mort, pèse encore sur son esprit.

Dans le Labyrinthe, tout était sombre et étouffant, comme ses rêves prémonitoires le lui avaient suggéré. Ils étaient dans une partie sombre, humide, du tunnel, dont les murs de pierre s'effritaient comme un papier vieux de cinq millénaires. Puis soudain, l'obscurité totale. Un cri. Et un deuxième. Les torches s'éteignirent, soufflées par un vent qui n'avait rien de naturel. Orion ne voyait rien, et brandissait son gladius qui luisait dans les ténèbres dans l'espoir d'apercevoir quelque chose. Puis un rire démoniaque fusa dans l'air, et les torches se rallumèrent. A ses pieds gisait Athénaïs.

Orion le savait, il aurait dû utiliser la projection astrale, servir d'éclaireur comme il l'avait proposé avant de laisser ses amis s'engager dans le Labyrinthe. Une pointe de culpabilité persiste et lui obscurcit l'esprit parfois. Il reste un peu sur les nerfs et quelque peu imprévisible depuis cet épisode. Mais promis, il est gentil.